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Témoignage : être femme, artiste et bisexuelle en Iran

Tabriz, Iran. Sur la terrasse d'une auberge je fais la rencontre de Nelli*. Elle porte

de grosses lunettes rondes sur un nez retroussé et arbore une chevelure décolorée. Elle en profite dans cette petite cour à l'abri des regards pour laisser respirer ses cheveux coupés courts à la garçonne. Femme, artiste et bisexuelle Nelli représente et incarne à elle seule tout ce que la république islamique au pouvoir tente de bâillonner.


Cela fait 26 ans qu’elle vit dans cette ville du nord-ouest du pays. Elle est photographe et travaille dans un atelier au cœur du bazar de la ville en tant que restauratrice de tapis. Seule femme de la boutique "ce n'est pas facile" me confie-t-elle. Elle se bat au quotidien pour que son travail soit aussi bien perçu que celui de ses collègues masculins et essuie jours après jours remarques lourdes et sexistes. Elle me présente son travail de photographe. Ses sujets sont en majorité des femmes, sans hijab, le corps nu, qui posent devant son œil avec élégance. Elle filme également. Elle me montre une vidéo qu'elle a tourné. Deux femmes dansent dans une rue étroite de la ville. Les deux corps se joignent, s'éloignent puis se retrouvent en harmonie, s'enlaçant l'un et l'autre. Dans un premier mouvement, ces corps semblent oppressés par les deux murs les encadrant, mais, malgré l'étouffement, les gestes se font ensuite de plus en plus amples, les corps se gonflent comme une envie de liberté. Le message est clair. En postant cette vidéo, Nelli risque gros; danser sur la voie publique est interdit en Iran, on peut se faire emprisonner pour moins que ça.


J'agis pour la libération des corps et celle de la parole. Ne rien faire serait pour moi cautionner l'agissement du gouvernement.

Des risques, elle en prend, parfois là où elle ne le pensait même pas. "Il y a deux ans j'ai pris en photo un graffiti au message politique pro révolutionnaire. Je l'ai publié sur les réseaux. Quelques jours plus tard, je reçois cet appel d'un numéro inconnu. Je décroche et un homme me répond. Il m'explique que ce que j'ai publié quelque jours plus tôt est interdit par la loi, que c'est un acte incitant au terrorisme. Il m'ordonne alors de me présenter le plus rapidement possible au commissariat le plus proche pour purger 6 mois de prison. J'y suis jamais allée." Après cet épisode, elle n'a pas pris de photos pendant près d'un an. La peur la tenaillait. Elle sortait un minimum de chez elle par crainte d'être arrêtée. "Aujourd'hui je republie des photos et des vidéos sur les réseaux. J'agis pour la libération des corps et celle de la parole. Ne rien faire serait pour moi cautionner l'agissement du gouvernement". Après cet échange, Nelli m'invite à la suivre pour découvrir son studio, là où elle travaille, pour elle seulement et non pour la boutique du bazar.


Lorsque je tisse, je ne pense à rien d'autre qu'à ça.

L'atelier est partagé en deux. Une grande pièce sert d'atelier de céramique occupée par des ami.e.s à elle. Son espace se trouve dans une plus petite salle. Le lieu lui est loué pour une bouchée de pain par son université, l'Université des Arts Islamiques "qui n'a rien d'islamique en réalité !", un sourire ironique se dessine sur son visage. Des peintures et des photos sont accrochées aux murs et des tapis persans étalés au sol.

C'est ici qu'elle les restaure, ces tapis vieux de dizaines d'années. C'est ici aussi qu'elle tisse ses propres carpettes. Un métier à tisser patiente dans un coin de la pièce, une carpette non finie accrochée à ses fils. Sur l'un des murs, une longue corde est tendue. Différents brins de laines et de cotons aux couleurs pastels s'y pendent mollement. "Ces vieux tapis je les trouve moi même, dans la rue, où des personnes viennent me les confier. Leur redonner vie me fait du bien. Lorsque je tisse, je ne pense à rien d'autre qu'à ça". Elle s'assoit devant son métier à tisser. Ses doigts défilent avec finesse et rapidité sous les fils de cotons. En 5 secondes, une lignée colorée du tapis est tissée.

Tout en tissant, on en vient à parler de la sexualité en Iran. Elle m'explique qu'il y a quelques années encore, se tenir main dans la main dans la rue était très mal vu et que vivre avec un.e ami.e de sexe opposé sans être marié.e était inimaginable. Les choses ont évolué depuis; les jeunes osent plus montrer leur amour en public sans pour autant se galôcher au milieu du trottoir. Plus de tolérance donc mais cela ne vaut que pour les couples hétéros. Pour les autres, montrer son amour est impossible si l'on tient à la vie. L'homosexualité est considérée comme un crime dans le pays. Se faire prendre, c'est se faire emprisonner voire se faire exécuter. Nelli se définit comme bisexuelle et a vécu un amour caché, difficilement durable dans un pays où dévier du dogme sociétal est tout de suite réprimé. Pour lutter contre cette situation, des mouvements citoyens ont existé. Mais elle me l'explique, la réaction du gouvernement et de sa police fût terrible.

"Il y a deux ans, une manifestation pour les droits LGBTQ+ s'est organisée dans la ville. Ils ont tiré sur la foule, il y eu des centaines de blessés et des dizaines de morts. C'était horrible, comme si on était en guerre. Depuis, tout le monde a peur, personne n'ose manifester. Moi j'essaie tout de même de le faire à mon échelle, j'ai ce besoin de créer."


En Iran, l'ébullition artistique se fait d'autant plus vive qu'elle se meut dans un espace régulé par des lois oppressives. Les jeunes, conscient.es de cette situation, veulent en grande partie quitter le pays. L'espoir d'une amélioration de leur condition de vie est quasi inexistant. Partir, c'est aussi la volonté de Nelli et cela malgré tout l'attachement qu'elle a pour son pays. Son objectif est de migrer en France, à Strasbourg pour y étudier la photographie ou le cinéma. Partir, quitter tout ce qu'elle connaît pour être libre; libre de créer ce qu'elle ressent et de simplement aimer sans en risquer sa vie.

 

* Le prénom a été changé.






La patte de Loisaune

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