C'était dans la région turque de la Cappadoce, au fin fond de la Love Valley. Là bas, l'homme vit seul au milieu de chibres en pierre gigantesques s'élevant toujours plus haut vers le ciel. Sa cabane est faite de branches d'arbres, de planches de bois et d'objets trouvés en tout genre. Et c'était dans cette maisonnette qu'il nous invita à entrer.
Il est 8h du matin, Lucien et moi venons de marcher deux bonnes heures à travers la vallée afin d'assister au lever du soleil. Deux chiens errants s'invitent à notre ballade, nous servant de guide comme si ils connaissaient avant nous la route à suivre. Une fois arrivé au point de vue offrant un spectacle en panorama sur la région, on aperçoit au loin une maisonnette. Des poules noires et blanches s'agitent autours; une vieille charrette à moitié démembrée gît à leur côté. Le jour se lève peu à peu et la faim commence à nous gratter le bide. On décide de se diriger vers cette cabane étrange, peut-être aurons nous la chance d'y trouver un repas. Arrivé sur le terrain de la maisonnée, un immense jardin sans barrières nous attend. La charrette n'a pas bougé, les poules sont toujours là aussi. On distingue peu à peu les matériaux de la cabane. Des branches d'arbres constituent son toit et son mur. Mêlés aux branches, de nombreux goodies de touristes sont accrochés sur la façade de l'entrée - yeux bleus protecteur, magnets montgolfière typiques de la région... - . Un stand de fruit et de jus sur le perron nous indique que l'habitant du lieu à l'habitude de vendre des rafraîchissements aux marcheurs de passage.
On se les caille franchement et Lucien décide de toquer. Il n'avait pas aperçu derrière la fenêtre le corps de l'homme allongé sous une couette qui recouvrait le canapé lui servant de lit. La couette se soulève et laisse apparaître notre futur hôte. Un peu gêné on se demande si il ne risque pas de nous embrouiller pour s'être permis pépère de toquer chez lui. Rien de tout ça. Il nous ouvre, encore dans ses rêves, mais grand sourire. Il nous propose d'entrer, de boire un thé ou un café pour nous réchauffer. Son anglais est excellent. La porte ouverte nous laisse découvrir un cocon à l'ambiance chaleureuse. Cocon d'une pièce - comme tout cocon - où la cuisine s'ouvre directement dans le salon-chambre-canapé. Les yeux parcourent la pièce. Des indices de sa vie s'affichent sur les murs. Ici, une photo de mariage, là, un livre dont le titre est fait de caractères japonais et plus loin encore, des photos de sa jeunesse. Il allume un vieux poêle à bois situé au milieu de la pièce. Pendant qu'il prépare le thé, on se présente et discutons avec lui de notre voyage avant qu'à son tour, il nous parle un peu de sa vie.
Il est père de 5 enfants, trois fils et deux filles. Son premier fils est marié à une japonaise, il en semble fier. Il a déjà pu aller y voyager 3 fois pour leur rendre visite. C'est le seul pays que ses yeux ont pu voir et que ses pieds ont foulé en dehors de sa Turquie natale. Son deuxième fils vit à Göreme, le village le plus proche de la bicoque, et il y tient là bas un restaurant. Le troisième fils, le plus jeune, vit aussi là bas et s'apprête à partir pour son service militaire, service militaire qui s'avère être obligatoire pour les homme dans le pays et qui s'étend sur un an. Une de ses filles vit dorénavant à Istanbul mais il ne nous en parlera pas plus. Il nous explique profiter de la retraite dans cette maison de branches et de bricoles après avoir travailler de longues années. Ici, il est seul, au calme, au milieu d'un paysage magique. Il possède toujours une maison dans Göreme et c'est là bas que vit sa femme.
Il reçoit un appel et répond en admirant le paysage qui s'offre à lui depuis sa fenêtre. On en profite pour boire le thé, se réchauffer. Il raccroche et nous explique que c'est justement son fiston qu'il vient d'avoir au téléphone. Il va venir lui rendre visite pour le petit déjeuner et lui apporter quelques courses. On continue de discuter; "Cette maison j'ai du me battre pour l'avoir. Deux fois je commençais à la construire et deux fois les policiers sont venus la détruire pour m'empêcher d'emménager, mais la troisième fois ça a été la bonne, je me suis arrangé - Un sourcil se lève, son index et son majeur frottent son pouce -. J'ai enfin pu m'y installer définitivement. J'aime être seul, tranquille, loin du village". On lui pose alors quelques questions sur la région. "Vous savez, ça a beaucoup changé ici. Tous les jeunes partent maintenant il n'y a plus personne, les gens sont pauvres et ne vivent que des touristes. C'est devenu triste. Surtout en cette saison. Regardez - nous pointant des grottes troglodyte au loin - avant, dans ces grottes, des gens y vivaient, et de nombreuses fermes existaient. Aujourd'hui il n'y a plus rien, que des boutiques pour touristes, des restaurants et des hôtels. C'est le plus bel endroit qui existe en Turquie, c'est stupide qu'il se soit vidé de sa vie".
Il allume la télé, l'écran s'allume. On tombe nez à nez avec le premier ministre turc. L'homme franchement sérieux à cravate franchement serrée blablate quelques mots incompréhensible. Notre hôte se marre. "Pfff... corrompu, corrompu! C'est que des fous. Ils sont tous corrompus dans ce gouvernement.". Il rejoint l'opinion de nombreux turcs croisés sur notre route, dégoûtés de la gestion des finances du pays par Erdoğan. Puis, contexte oblige, le sujet Covid arrive. Il nous fait bien marrer là dessus. Pour lutter contre le virus, il a la solution magique : "Pour soigner le Covid? Une bonne bouteille de raki* et c'est réglé !". Sur ces sages paroles son fils passe la porte. Il est accompagné de sa petite amie et, au bout de ses bras, de sacs remplis de victuailles. Contrairement au père, les deux arrivants ne parlent pas un mot d'anglais. On se comprend par les mimes ou nos téléphones. Aimablement, ils nous invitent à petit déjeuner. Pain, miel, confiture, ils nous régalent. Ici, au milieu de cette maison au centre d'une vallée située au cœur de la Turquie, on sait qu'on est chanceux d'avoir été accueilli par cet homme le temps d'une matinée alors qu'il ne connaissait rien de nous. Après de longs au-revoir, on promet à l'ermite de boire du raki en assez grande quantité afin d'éviter de croiser la route de tout mauvais virus et; hasard ou non, ça fonctionnera.
* Le raki est l'eau de vie phare en Turquie. Très fort, il est fait d'herbes en tout genre et se rapproche plus ou moins du pastis .
Pour toutes commandes de tirages photographiques : silouane.bourel@gmail.com ou @silwann
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